L’hôtellerie de Notre-Dame de l’Abbaye Saint-Wandrille

Ou petite histoire de l’hôtellerie Saint-Joseph

Ce que nous appelons l’accueil Saint-Joseph est une maison, à quatre pignons à pas de moineaux, sans style bien défini, qui ne s’harmonise avec aucun des bâtiments proches. Conçue comme école, devenue tour à tour maison particulière, puis hôtel-restaurant, et enfin hôtellerie monastique, toujours aussi peu adaptée à l’usage qui est le sien depuis 70 ans. Chaque génération a tenté de l’améliorer, de l’adapter, supprimant, réouvrant, fermant, essayant de tirer parti au mieux d’un bâtiment quelque peu ingrat.

A l’origine cette maison a fait partie d’un ensemble de constructions, plus ou moins cohérentes, dues à la munificence, à la charité et à la piété du marquis et de la marquise de Stacpoole qui avaient acheté l’abbaye en 1863 : la porte monumentale, le petit portail de l’ancien cimetière, dite lichgate, les chapelles de l’église paroissiale, le calvaire, le Saint-Sépulcre, la croix du cimetière, érigés ou aménagés entre 1865 et 1881.

Le couple acheta une parcelle de terrain à l’angle du jardin du presbytère et du cimetière entourant l’église, et fit construire en 1869 une école de filles, tenue par des religieuses. On ne sait quelle congrégation religieuse féminine s’en occupa.

L’école portait et porte encore, côté église paroissiale, une plaque de marbre gravée : « AMDG / Georgii marchionis de Stacpoole / Et / Mariae marchionissae / Sumptibus / Pro puellis instituendis / AD MDCCCLXIX / Orate pro eis ».

L’école Saint-Joseph a été construite à la même époque que la mairie de Saint-Wandrille (1869), par les mêmes architectes, Martin et Marical, d’Yvetot. Il semble que précédemment la mairie utilisait le pavillon de la Nature, actuelle hôtellerie. Le marquis voulait à cette époque récupérer ce pavillon, pour y loger son concierge, et clore la cour devant la porte de Jarente, pour « privatiser » tout ‘espace situé au sud des bâtiments monastiques, l’avant-cour et les ruines de l’église abbatiale. Il bâtit alors la porte monumentale (1867) donnant sur la place du bourg, avec des restes de l’extrémité du bâtiment Est de l’abbaye, notamment un fronton sculpté.

Après bien des tribulations et arcanes juridiques, le 16 février 1897, les moines reprennent possession de l’abbaye.

En 1897, 4ème duc de Stacpoole, est toujours héritier du bâtiment de l’ancienne école, mais n’ayant plus aucune attache à Saint-Wandrille, il le vend le 26 avril 1897 pour 4.000 francs à Mme Augustine Vautier, caennaise, mère de deux jeunes moines brillants et un peu originaux, les frères Henri et René Vautier. Elle avait acheté cette maison pour y loger lorsqu’elle venait voir ses fils. Elle y arrive pour la première fois le 4 mai 1897, avec sa bonne. L’architecte Buzy, de Niort, qui avait été architecte de Ligugé, vient en août en vue des « travaux de transformation à l’intérieur de la maison d’école » dit la chronique.
Madame Vautier y était rejointe chaque année, au printemps, par d’autres dames, ainsi Melle Marie Soudée, une habitante de Solesmes et Sablé, ou Melle Jores. Ces dames y travaillaient au linge d’autel du monastère. L’habitude est prise : Madame Vautier met, à la demande, sa maison à la disposition d’hôtes, des dames, qui ne peuvent évidemment pas loger à l’abbaye. L’accueil des dames s’y faisait donc de façon courante, mais peu organisée.

Après le départ en exil des moines en 1901, la maison Saint-Joseph reste la propriété de Mme Vautier. Elle abrite un certain nombre de caisses non emportées lors du déménagement précipité. Comme il s’agissait d’une propriété personnelle, la maison n’est ni séquestrée ni liquidée, d’autant plus qu’elle est louée jusqu’en 1930 à deux rouennaises, Mesdemoiselles Lanchon et Granger, qui y viennent résider chaque été, en assurant l’entretien.

Durant leur exil, les moines connaitront plusieurs lieux d’accueil. A partir du séjour à Conques en 1912, il y aura, près du monastère, une maison qui accueille occasionnellement les familles des moines, tenue par un couple, les Daoust, qui restera attaché à la communauté durant 50 ans. Plus tard lors de l’exil au Réray dans l’Allier (1924-1930), il y eut la « maison des quatre vents », toujours tenue par Mme Daoust, pour l’accueil des familles de passage. Le principe de l’hôtellerie est né.

En 1930-31, c’est le retour des moines dans l’abbaye normande.
Après la mort de sa mère et de son frère en 1912, le Père René Vautier était resté seul propriétaire de la maison Saint-Joseph. Le couple Daoust, qui suit toujours la communauté, s’y installe. Elle devient l’Hôtellerie Saint-Joseph. Madame Daoust accueille à l’occasion des familles de moines pour quelques jours, ou des personnes à demeure, comme Madame Gontard, mère du Père abbé qui y finira ses jours ou une pieuse et originale oblate comme Eve Lamotte.

En 1936, le Père Vautier cède la maison à la Société immobilière de Saint-Wandrille qui devient plus tard l’association des amis de Saint-Wandrille, laquelle la remet à la communauté avec toute la propriété en 1993, après sa reconnaissance légale.

Dès lors, Madame Daoust fera peu à peu « pension de famille », en hébergeant des ouvriers venus travailler pour la restauration de l’abbaye, plus encore à partir de 1940, après l’incendie des hôtels de Caudebec et la carence d’hôtels dans la région. Le départ à la retraite de Mme Daoust en 1957, ne se fera pas sans déchirement ni problèmes.

Après le départ du couple Daoust, et un intermède de quelques années, c’est le Père Raymond Trancard qui, en 1963, deviendra gérant officiel de l’hôtellerie Saint-Joseph, et adhérera donc à ce titre à la Confédération française des hôteliers restaurateurs, cafetiers et limonadiers.

Le Père Abbé Dom Ignace Dalle, élu en 1962, ne peut que constater l’augmentation de la demande de séjours de retraite auprès de l’abbaye, tant au masculin qu’au féminin. Plutôt que de reprendre des gestionnaires laïcs, les années précédentes en ayant montré les inconvénients, dom Dalle souhaite que l’accueil à l’hôtellerie extérieure soit assuré par des religieuses.

Il fait appel aux oblates de saint Benoît des Thibaudières, à Chadurie, dans les Charentes pour tenir l’hôtellerie Saint-Joseph. Elles tiendront l’hôtellerie Saint-Joseph presque dix ans mais doivent cesser en novembre 1973, faute de recrues.

Le Père Abbé Levasseur repart en quête d’une autre congrégation qui accepterait d’assurer l’accueil. Le 4 avril 1974 arrivent les sœurs de Saint-Joseph de Cluny. Elles y resteront jusqu’au 5 novembre 1980, soit six ans et demi. C’est en raison de leur présence qu’une relique de la mère Javouhey leur fondatrice a été mise dans l’autel de Notre-Dame de Caillouville.

Après le départ des sœurs, il est envisagé de ne plus rester « hôtel restaurant ». Les chambres et la cuisine font l’objet d’une réfection. Le fonds de commerce est supprimé le 31 décembre1981.
L’hôtellerie Saint-Joseph devient l’accueil Saint-Joseph.

En 1986, la maison fait l’objet d’une réorganisation complète pour pouvoir être gérée au mieux, par un moine, aidé de deux dames du bourg.